L’intervention du Gouvernement du Québec dans le programme C Series de Bombardier : un investissement astucieux pour contourner les rigueurs du droit de l’OMC?

 

Le 29 octobre 2015, par voie de communiqué de presse, Investissement Québec a annoncé un investissement majeur d’un milliard de dollars US en faveur de la création d’une nouvelle coentreprise en partenariat avec Bombardier. Tel qu’indiqué par le ministre Daoust dans une entrevue à Radio-Canada : « L’objectif n’est pas de faire un investissement pour faire de l’argent. L’objectif est de développer le domaine de l’aéronautique au Québec. ». Cette déclaration a donné lieu à des débats animés de la part des observateurs.

L’objectif visé dans cet article n’est pas de déterminer la pertinence de cet investissement sur un plan économique. Il s’agit plutôt de qualifier la mesure sur un plan juridique pour voir si l’intervention du Québec respecte le cadre légal de l’OMC.

 

Comment qualifier juridiquement l’intervention du Gouvernement de Québec?

 

Dans un contexte de libéralisation des échanges, l’intervention gouvernementale dans les activités d’une entreprise est susceptible de contrevenir à certaines dispositions de l’OMC telles que l’Accord sur les mesures concernant les investissements et liées au commerce (« Accord MIC ») ainsi que l’Accord sur les subventions et mesures compensatoires (« Accord SMC »).

Au terme de l’article premier de l’Accord MIC, il est prévu que les mesures concernant les investissements liées au commerce relèvent du champ d’application de cet accord. Pour être valide, la mesure gouvernementale ne doit pas contrevenir aux dispositions concernant le traitement national (Article III du GATT de 1994) ou les restrictions quantitatives (article XI du GATT de 1994). Même s’il nous manque plusieurs détails sur cette nouvelle entente, rien ne nous permet de conclure qu’une des dispositions de l’Accord MIC est violée. En effet, l’entente ne force pas Bombardier à acheter un certain nombre de produits locaux et ne semble pas discriminer l’importation de produits étrangers en fonction du volume d’exportation de l’entreprise. Dans ces conditions, l’Accord MIC ne semble pas avoir été violé en l’espèce.

Il importe toutefois de porter une attention particulière à l’Accord SMC et à la possibilité que l’intervention du gouvernement du Québec corresponde à une subvention qui violerait des dispositions de cet accord. En effet, pour que l’intervention du Québec puisse être qualifiée de « subvention » aux termes de l’Accord SMC, trois critères doivent être réunis. D’abord, il doit y avoir une contribution financière. Ensuite, cette contribution doit provenir des pouvoirs publics. Enfin, il faut prouver l’existence d’avantages conférés à un bénéficiaire suite à l’apport.

En l’espèce, il semble clair qu’il y a une « contribution financière ». Tel que présenté par le Professeur Prince, « il y a une contribution financière chaque fois que les pouvoirs publics apportent une contribution ayant une valeur monétaire, économique ou financière ». En l’occurrence, le Gouvernement du Québec opère un transfert direct de fonds d’un milliard de dollars américains. Le premier critère est donc rempli.

En ce qui concerne le deuxième critère, la notion de « pouvoirs publics » doit être interprétée largement, incluant les sociétés d’État. Dans la situation actuelle, l’intervention étatique, par l’entremise d’Investissement Québec, est évidente et les conditions de ce deuxième critère sont donc réunies.

Enfin, pour qu’il y ait « subvention » aux termes de l’Accord SMC, il faut aussi qu’un « avantage ait été conféré » suite à l’apport étatique. Dans un différend relatif à l’exportation d’aéronefs civils opposant le Canada au Brésil, le Groupe spécial, confirmé par l’Organe d’appel, avait indiqué qu’: « une contribution financière ne confère un « benefit », c’est-à-dire un avantage, que si elle est fournie à des conditions plus avantageuses que celles que le bénéficiaire aurait trouvées sur le marché ». Ainsi, il suffit de démontrer que le bénéficiaire est placé dans une meilleure situation suite à ladite subvention et de prouver et quantifier l’impact sur le marché.

Avec la création de la nouvelle coentreprise, il est difficile de déterminer ce que Bombardier aurait trouvé sur le marché. Toutefois, il faut retenir que cette société affiche plus de 4,9 milliards en déficit, un abandon de son programme Learjet 85 ainsi qu’une tentative de négociation infructueuse avec son compétiteur franco-allemand, Airbus. Même s’il manque plusieurs détails et qu’il est difficile de définir l’impact sur le marché, il semble y avoir un « avantage conféré ». En effet, une telle subvention du gouvernement québécois donne plus de marge de manœuvre à Bombardier pour compléter son programme C Series. La situation financière de Bombardier étant meilleure suite à l’aide gouvernementale, on peut en déduire qu’un avantage a été conféré au sens du droit de l’OMC.

Au terme de l’évaluation des trois critères présentés, nous sommes d’avis que l’investissement du Gouvernement du Québec équivaut à une subvention.

 

L’intervention du Gouvernement du Québec viole-t-elle les dispositions de l’Accord SMC?

 

Tel qu’exprimé par l’article 5 de l’Accord SMC, il existe des subventions prohibées ainsi que des subventions « pouvant donnant lieu à une action ».

D’abord, la subvention respecte la prohibition de l’article 3.1 de l’Accord SMC. Avec l’information dont on dispose, il ne semble pas y avoir une préférence accordée à l’utilisation de produits nationaux ni d’effet direct sur l’exportation découlant de la subvention. Cette aide du gouvernement québécois permet de compléter le lancement du programme C Series sans avoir un impact direct sur le marché d’exportations des aéronefs civils. Suite aux justifications du ministre Daoust, l’objectif du gouvernement est d’investir dans un projet qui pourrait rapporter à long terme, mais qui permettrait aussi de maintenir les multiples emplois dans le secteur de l’aéronautique québécois. De ce fait, la subvention n’est pas directement liée aux recettes d’exportation d’aéronefs et le gouvernement ne conditionne pas son investissement aux résultats à l’exportation. La subvention n’est donc pas prohibée.

Enfin, il existe une catégorie de subventions pouvant donner lieu à une action (article 5 Accord SMC). Pour être contesté, il faut prouver un des trois effets défavorables suivants : un dommage, un préjudice grave ou une annulation ou réduction des avantages résultants du GATT de 1994. Ceci a notamment été soulevé dans le cadre des différends entre Boeing et Airbus. Il est difficile dans notre situation de trouver un effet défavorable clair. La création de cette coentreprise engendre des risques que l’État devra assumer et aucun compétiteur n’est en mesure de prédire si cette subvention leur causera un effet défavorable. Pour ces raisons, nous ne qualifierons pas cette aide comme étant une subvention pouvant donner lieu à une action.

 

Peut-on parler d’un investissement astucieux au plan juridique?

 

L’intervention du gouvernement québécois nous paraît très astucieuse sur un strict plan juridique puisqu’elle permet d’échapper aux rigueurs du cadre juridique de l’OMC. Étant donné la structure complexe de cette subvention, il est difficile de la classer dans la catégorie des subventions susceptibles d’être condamnées par le droit de l’OMC. L’investissement ne saurait être condamné en vertu de l’Accord MIC ni en vertu de l’Accord SMC. De plus, cette nouvelle coentreprise vise à contourner les violations soulevées devant l’Organe de règlement des différends en matière de subvention dans le domaine aéronautique. Sur le plan juridique, cette entente permettrait de protéger le gouvernement contre toute action. Enfin, il faut noter que les grandes entreprises de ce secteur (Airbus, Boeing, Embraer, Bombardier) multiplient les subventions et engendrent la création d’un marché contrairement aux objectifs visés par l’OMC.

 

Par Ralph Aziz, étudiant au Baccalauréat en droit

Ce contenu a été mis à jour le 31 mars 2016 à 15 h 22 min.

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