La faible exemption sur les droits de douane des colis entrant au Canada, mesure protectionniste du Gouvernement Canadien ?

Alors qu’aux États-Unis, une nouvelle législation vient porter à 800 $ l’exemption de droits de douanes sur les marchandises importées par voie postale, cela relance le débat sur l’exemption canadienne. Celle-ci, d’un montant de 20 $, n’a pas évolué depuis 1985.

Lorsque le Canada est entré à l’OMC, il a accepté de réduire les obstacles tarifaires tels que les droits de douanes imposés sur les marchandises. Par conséquent, le Canada s’est engagé à ne plus augmenter ses droits de douane, mais bien à les diminuer progressivement. Or, malgré l’expansion significative des commandes faites à l’étranger, dû à l’explosion du commerce en ligne, le Canada n’a pas changé sa législation sur les exemptions concernant les colis en provenance de l’étranger depuis 1985. Il s’agit ici d’une mesure ne visant que les marchandises entrant dans le territoire par voie postale, autrement dit les colis postés à l’étranger et dont le destinataire se trouve au Canada. Ces droits sont acquittés par le destinataire, et constituent la condition de réception de son colis.

Une exemption aussi restrictive que 20 $ peut s’apparenter à une mesure protectionniste, ce qui pourrait mettre le Canada en porte-à-faux avec l’OMC qui s’oppose à ce genre de pratiques. Seulement, même en appliquant un seuil de minimis aussi bas, le Canada n’enfreint aucune des règles du GATT de 1994. En effet, l’imposition de droits de douane n’est pas interdite dans la mesure où elle respecte le traitement de la nation la plus favorisée, or il n’est fait aucune différence basée sur la provenance des produits en ce qui concerne l’exemption de droit de douane. En revanche, le fait que le seuil de 20 $ n’ait pas été révisé depuis 31 ans pourrait constituer un argument à la défaveur du Canada. Il a d’ailleurs été soulevé par l’entreprise eBay dans son mémoire au comité des finances de la chambre des Communes en 2014. La firme a demandé à ce que le montant de l’exemption fasse l’objet d’une révision pour passer de 20 à 200 $. Elle a souligné que le seuil pratiqué par le Canada était l’un des plus bas au monde, et que cela constituait selon elle un obstacle à la liberté du commerce international.

Le comité des finances du Sénat canadien est allé dans le même sens, en déclarant qu’il était nécessaire de réviser le montant de l’exemption. Seulement, le conseil du commerce de détail ne partage pas cette opinion. Il estime que l’augmentation du seuil de minimis viendrait déstabiliser les détaillants canadiens du fait d’une hausse conséquente des commandes à l’étranger. Cet argument, ouvertement protectionniste, soulève une interrogation de taille, puisque l’OMC comme l’ALENA ont pour but de lutter contre les politiques protectionnistes des États. Or il est vrai qu’en pratique, cette mesure favorise inévitablement les produits nationaux: ceux-ci, bien qu’expédiés par la poste ne se verront pas soumis à ce droit puisque leur circulation demeure interne en tout temps. En outre, du fait de l’augmentation du seuil américain, les produits canadiens se trouvent doublement avantagés: un individu résident au Canada préférera commander un produit venant d’une entreprise implantée au Canada plutôt que celui d’une entreprise américaine (par exemple) dans la mesure où la valeur du produit est supérieure à 20$, et un américain intéressé par un produit canadien ne se verra pas imposé de frais supplémentaires (sous réserve d’une commande inférieure à 800 $) donc n’hésitera pas à acheter le produit.

La différence est de taille, puisque le seuil de minimis américain est quarante fois plus élevé que le seuil canadien, et cela est d’autant plus étonnant que les États-Unis et le Canada (et le Mexique) font partie d’une zone de libre-échange, l’ALENA, visant à favoriser le commerce entre ces pays. Or, le commerce électronique est un pan important des échanges commerciaux actuels. De ce fait, le consommateur canadien est lésé vis-à-vis d’un consommateur américain puisque pour le même produit, expédié par les services de postes du même pays tiers, l’un aura une franchise de droits et l’autre pas. Si cette exemption est avantageuse pour les détaillants canadiens, elle l’est beaucoup moins pour les consommateurs, dont beaucoup ne comprennent pas ce système qu’ils trouvent injuste.

L’économie intégrée et le mécontentement des consommateurs sont d’ailleurs les arguments mis en avant par Maryscott Greenwood, à l’origine d’une pétition mobilisant les consommateurs. Cette conseillère des affaires canadiennes-américaines avait annoncé que cette question serait abordée lors de la visite de Justin Trudeau aux États-Unis.

Cette visite; programmée une semaine après la promulgation du « Trade Facilitation and Trade Enforcement Act »; a réactivé le débat sociétal sur l’exemption postale canadienne, mais n’a pas eu l’effet attendu sur la position du premier ministre. Malgré l’intervention d’une sénatrice américaine sur la nécessité de relever le montant de l’exemption et des discussions axées sur la politique économique transfrontalière, le sujet n’a pas fait l’objet de déclaration officielle de la part de Justin Trudeau lors de la conférence de presse.

A quelques jours de la publication du premier budget du nouveau gouvernement (prévue pour le 22 mars 2016), eBay a de nouveau manifesté sa volonté de voir le seuil de minimis relevé. En effet, dans un communiqué l’entreprise a affirmé que le gouvernement canadien perd environ 120 millions de dollars rien que pour la collecte des droits de douane des colis d’un montant évalué entre 20 et 80$.

Si le gouvernement canadien ne change pas sa position, il est possible que les États-Unis perdent patience. Bien que les deux États soient liés par des accords de coopération économique, des blocages dans des domaines tels que la politique transfrontalière les amènent parfois à saisir l’organe de règlement des différends. Il s’agira alors pour le gouvernement américain de fonder sa plainte sur des arguments solides, au vu de l’ambiguïté de la question. Le tout sera de déterminer si la stagnation d’une barrière tarifaire pendant 31 ans constitue un manquement du Canada à ses engagements de réduction des droits de douanes dans la dynamique de libéralisation du marché.

 

Héloïse Péaud

Étudiante à la maitrise

Ce contenu a été mis à jour le 26 octobre 2016 à 2 h 01 min.

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